Un guide rapide
pour une
numéri-
sation
durable
Quel est le rapport entre
les bits et les octets et
la consommation de ressources
De
La numérisation durable signifie construire
le monde numérique
en préservant les ressources, telles que l’eau, le cobalt ou le lithium.

«Je pense qu'il y a un marché mondial pour peut-être cinq ordinateurs", C’est ce qu’a déclaré Thomas Watson en 1943 alors qu’il était le patron d’IBM et l’un des hommes les plus fortunés des Etats- Unis. Même si il s’était enrichi grâce aux cartes perforées, les ancêtres de la numérisation, il ne croyait pas aux ordinateurs à commande électronique.  Plus tard, l’être humain est allé sur la lune. Aujourd'hui, presque tout le monde possède un smartphone, plus puissant que l'ordinateur qui a permis à Neil Armstrong de voyager dans l’espace.

La numérisation est donc là, avec ses avantages et ses problèmes, changeant considérablement le monde. Mais quelle numérisation voulons-nous?
À l'heure de la catastrophe climatique qui s'annonce, comment faut-il la concevoir pour qu'elle ne cause pas davantage de dégâts ? Que pouvons-nous faire?

Principes de base

Empreinte de la numérisation

Sans électricité, pas d'Internet, sans énergie, pas de numérisation. C’est évident. Mais quelle est l'empreinte écologique du monde numérique ? Quand on parle de numérisation, on parle d'un réseau mondial. Un réseau mondial qui se compose de l'infrastructure - centres de calcul, câbles à fibres optiques, réseaux de téléphonie mobile - et du matériel que les gens utilisent directement - ordinateurs, ordinateurs portables, smartphones ou tablettes.

La fabrication des appareils comme de l'infrastructure nécessite des ressources et de l'énergie - tout comme leur fonctionnement. Aujourd'hui, environ quatre pour cent des émissions mondiales de CO2 sont imputables à ce réseau, comme l'a calculé l'ONG Shift-Project. L'étude conclut que la numérisation libère chaque année à peu près autant de gaz à effet de serre que l'ensemble du trafic aérien (l'étude a été publiée peu avant la pandémie de coronavirus). À cela s'ajoute le fait que des substances toxiques sont libérées aussi bien lors de la fabrication que lors de l'élimination de nos appareils. La forte croissance numérique qui se poursuit - en particulier dans les pays émergents - va inévitablement accentuer cet impact environnemental.

Consommation électrique

La numérisation dévore l'électricité comme un grand pays

Des possibilités d'action se dégagent en observant le numérique mondial à petite échelle. Prenons l'exemple du smartphone : nous l'utilisons en moyenne deux à trois ans. Si l'on regarde combien d'énergie un smartphone consomme pendant cette période, quatre-vingts pour cent sont consacrés à sa fabrication. L'utilisation quotidienne du smartphone, c'est-à-dire son chargement régulier, n'en représente que vingt pour cent. La règle est donc simple : plus un smartphone est utilisé longtemps, mieux c'est. Notamment parce que les appareils contiennent de nombreuses matières premières provenant de zones de conflit.

Si l'on regarde l'ensemble de la numérisation, la situation est un peu différente. L'exploitation de l'infrastructure engloutit plus de la moitié de l'énergie consommée. La majeure partie est générée par l'exploitation des centres de données et le transport des données. La consommation croissante ces dernières années du streaming et de visio-téléphonie est la cause de cette évolution.

Les géants & la durabilité

Même si les grands groupes numériques comme Google, Apple ou Microsoft affirment vouloir réduire leur empreinte écologique, la consommation d’électricité de Google double environ tous les trois ans depuis 2011. En 2019, elle s'élevait à 12,4 milliards de kilowattheures, soit environ le double de la production annuelle des deux réacteurs de la centrale nucléaire suisse de Beznau.

Néanmoins, chaque groupe technologique annonce des objectifs de durabilité qui varient. Apple veut être "neutre en carbone" d'ici 2030, Google "sans carbone" à la même date. Microsoft indique qu'il sera "carbone-négatif" d'ici 2050. Le groupe veut même éliminer de l'environnement tout le carbone qu'il a généré depuis sa création en 1975.

Les groupes technologiques essaient d'alimenter leur infrastructure et leur production en énergie renouvelable, mais ils pratiquent aussi en partie ce que l'on appelle l'offsetting: ils investissent ainsi dans des entreprises qui devront à l'avenir compenser ou annuler nos émissions actuelles. Savoir si ce pari sur l'avenir est vraiment durable reste une question controversée : l'effet ne se produira que dans le futur et son efficacité ne peut pas encore être prouvée aujourd'hui. Et surtout, la véritable faim d'énergie ne sera pas réduite à long terme.

Utilisation et production

Qu'est-ce qui consomme de l'électricité et combien ?

Augmentation de l'efficacité grâce à la numérisation

Malgré ces chiffres, la numérisation peut aussi aider à économiser des ressources en optimisant certains processus dans des domaines comme les transports de passagers, la logistique des denrées périssables, ou des bâtiments. Par exemple des vols peuvent être remplacés par des vidéoconférences. Une étude conclut que cela permettrait d'économiser sept mégatonnes de CO2 par an en Suisse, soit environ 15 % de l'ensemble des émissions de CO2 du pays.

Mais attention à l'effet rebond : les gains d'efficacité ont généralement pour conséquence que certains appareils consomment certes moins d'énergie, mais qu'en contrepartie, un plus grand nombre d'appareils sont utilisés plus souvent. Cela peut réduire, voire annuler, les économies réalisées.

Une numérisation durable doit s'orienter sur trois directives:

  • Efficacité: plus nous utilisons la matière et l'énergie avec un bon rendement, mieux c'est.

  • Cohérence: nous avons besoin de plus de technologies respectueuses de la nature. Celles-ci utilisent les substances et les prestations de l'environnement sans le détruire.

  • Suffisance : ce qui n'est pas demandé n'est pas produit et n'a pas d'impact sur l'environnement.

Il va de soi que la numérisation doit être organisée de manière équitable et ne doit pas favoriser l'exploitation, le travail des enfants ou les conditions de travail qui rendent malade.

Conseils et astuces

Il existe des possibilités de rendre la numérisation plus écologique. Voici quelques conseils qui ne prétendent pas être exhaustifs et qui ne résolvent pas tous les problèmes mais ce sont les premiers pas qui nous aideront, en tant que consommateurs, à rendre la numérisation plus durable.

Appareils

Les appareils informatiques quotidiens tels que les smartphones ou les ordinateurs portables devraient être utilisés le plus longtemps possible. En effet, la majeure partie de la charge environnementale provient de la fabrication. Il est également recommandé d'acheter des appareils d'occasion et de les réparer si possible. Mais attention : La possibilité de remplacer facilement et à moindre coût la batterie, par exemple, dépend du fabricant. Le portail iFixit fournit des informations détaillées à ce sujet.

Les matières premières utilisées dans les appareils jouent également un rôle. Leur extraction s'accompagne souvent d'une forte pollution de l'environnement, de l'exploitation de personnes et de guerres. Nager IT, Fairphone ou Shiftphone se sont positionnés comme précurseurs. Nager IT produit des souris d'ordinateur équitables. Fairphone ou Shiftphone proposent des smartphones modulaires et faciles à réparer. En effet, de nombreux appareils tombent en panne après peu de temps et sont difficilement réparables. On parle alors d'obsolescence programmée. Les gens sont ainsi contraints d'acheter constamment de nouveaux appareils. Pour remédier à ce problème, la France a récemment introduit un "Repair Score" pour les appareils électroniques. Celui-ci indique dans quelle mesure un appareil électronique peut être réparé. Les consommateurs disposent ainsi d'une meilleure base de décision lors de l'achat. L'Union européenne veut inscrire le "droit à la réparation" dans la loi. En Suisse, aucune initiative politique comparable n'a été prise jusqu'à présent.

Il n'est pas toujours judicieux de continuer à utiliser de vieux appareils. Pour les grands appareils de lecture, comme les téléviseurs, qui sont utilisés de manière intensive pendant des années, la consommation d'énergie en fonctionnement joue un rôle plus important. Dans ce cas, il est parfois recommandé de les remplacer par un modèle plus efficace. Mais ce n'est le cas que si ce gain d'efficacité n'est pas annulé par un besoin de base plus élevé - par exemple par une diagonale d'écran beaucoup plus grande. (→Effet rebond, cf. glossaire)

Conseil Utiliser des appareils plus petits et moins nombreux, car cela permet de réduire la consommation d'énergie comme de ressources. Les Repair Cafés permettent d'obtenir de l'aide si l'on souhaite réparer son propre appareil.

Infrastructure

Le trafic de données sur Internet est de plus en plus efficace, car il faut de moins en moins d'énergie pour transporter un octet d'un point A vers un point B. Mais c'est justement là que l'effet rebond frappe. Autrefois, tout le monde regardait les mêmes programmes TV au même moment. La télévision analogique nécessitait relativement peu d'électricité. Mais cette époque est révolue, aujourd'hui, on regarde les informations en différé et on diffuse des vidéos ou de la musique en streaming. Il en résulte une plus grande consommation de ressources en raison de l'augmentation rapide des volumes de données.

Conseil Regarder des vidéos en plus petite résolution et enregistrer localement les fichiers utilisés plusieurs fois - par exemple les chansons préférées.

Utilisation d'Internet

La manière dont nous accédons à Internet a une influence directe sur notre consommation de ressources. L'énergie nécessaire par quantité de données est particulièrement importante. Cette intensité énergétique est toujours la plus faible lors d'une utilisation par câble. La règle est la suivante : une connexion par câble est plus économe en ressources que le WLAN - et le WLAN est meilleur que la téléphonie mobile. En conséquence, il est recommandé d'utiliser les réseaux WLAN publics, à condition qu'ils soient accessibles en toute sécurité (pour en savoir plus, voir "Petit guide d'autodéfense numérique").

Conseil Même si les normes modernes de téléphonie mobile le permettent, il est préférable de télécharger sur l'appareil mobile, depuis la maison, les derniers épisodes de sa série préférée pour les avoir en réserve en déplacement.

Moteurs de recherche

Les recherches ne sont pas gratuites. Non seulement nous payons avec nos propres données d'utilisateur, mais nous consommons aussi de l'électricité. Une seule requête Google consomme environ 0,3 watt-heure - à peu près autant que pour se raser la barbe électriquement. Il y a environ un million de recherches par seconde dans le monde, ce qui consomme 300 kilowattheures. Un ménage d'une personne consomme environ la même quantité d'électricité en deux mois.

Cette dépense d'énergie est due au fait que Google maintient en activité 24 heures sur 24 le globe terrestre avec des centres de calcul gigantesques, afin de pouvoir répondre à tout moment et à la vitesse de l'éclair aux demandes. De nombreuses demandes de recherche sont superflues : elles concernent des pages que nous avons déjà visitées.

Les moteurs de recherche qui consomment en principe peu d'électricité n'existent pas. Mais des alternatives comme Ecosia tentent de compenser judicieusement cette consommation. Ecosia investit quatre-vingts pour cent des bénéfices générés par les recettes publicitaires dans des arbres. En moyenne, il faut 45 recherches pour planter un arbre.

Conseil Consulter directement les pages fréquemment utilisées, par exemple en les enregistrant comme signets ou en les recherchant dans l'historique du navigateur. Dans Firefox, cela peut être fait automatiquement via la barre d'adresse si un ^ est placé au début - ainsi, la recherche s'effectue dans l'historique complet et pas seulement dans les pages récemment visitées.

Diffusion en continu

Le streaming via des plateformes comme Netflix, Amazon, YouTube ou Spotify représente une grande partie du volume global de données. Au cours des cinq dernières années, le trafic de données a triplé dans le monde entier. Rien que pour la mise à disposition des données, environ 200 milliards de kilowattheures sont dépensés, ce qui correspond à près de quatre fois la consommation annuelle totale de la Suisse.

La raison en est principalement l'augmentation de la qualité et de la résolution des vidéos. Sur Netflix, une heure nécessite 0,3 gigaoctet (Go) en basse qualité, 3 Go en haute résolution complète en HD et 7 Go en qualité cinéma. Par rapport au téléviseur classique, les services de streaming accessibles individuellement sont de véritables dévoreurs de ressources. Seulement, la collection de DVD n'est pas non plus une alternative. Les DVD sont regardés une fois et traînent ensuite.

Les différents fournisseurs de streaming sont également différents en termes de durabilité. Par exemple, selon le rapport Click-Clean de Greenpeace, Apple s'en sort bien mieux que Netflix ou Amazon.

Conseil Enregistrer les films préférés sur le disque dur et regarder tous les autres en qualité inférieure. Et lors de la téléphonie en ligne, désactiver l'image si ce n'est pas absolument nécessaire. Cela permet d'économiser des données et donc de l'électricité.

Stockage des données

Juste après le transport des données, le stockage des données est le deuxième poste en termes d'intensité énergétique. Lorsque les données sont stockées dans le cloud, elles sont toujours accessibles et consomment donc constamment de l'énergie. Les services en nuage de Microsoft (OneDrive), Google (GoogleDrive) ou Apple (iCloud) consomment donc beaucoup plus d'énergie que lorsque les données sont stockées sur un disque dur externe local. Car là, on a seulement besoin d'électricité lorsque ceux-ci sont connectés à l'ordinateur. Le cloud semble léger et aérien, mais il s'agit en fait d'un gros ordinateur qui se trouve à un autre endroit, généralement inconnu, et qui consomme également de l'électricité.

Ceux qui ne peuvent pas se passer d'un cloud devraient examiner à la loupe le bilan énergétique des différents fournisseurs.

Conseil Choisir des fournisseurs locaux qui essaient d'opérer de manière durable et qui s'engagent également à respecter la protection des données (plus de détails dans "Petit guide d'autodéfense numérique"). Par ailleurs, il peut aussi être utile de faire le tri et de ne laisser sur une plateforme cloud que les données auxquelles plusieurs appareils doivent avoir accès. Le reste peut être stocké sur des disques durs externes, ce qui permet d'économiser de l'énergie. Les données inutiles devraient également être supprimées de temps en temps.

Liens utiles

Des organisations avec un accent défini sur la numérisation et la durabilité

Calculateur de durabilité et de CO2

seulement quelques-uns axées sur les activités numériques, si possible indépendantes et exemptes de tout soupçon de 'green-washing'.

Certifications de solutions numériques et d'entreprises en matière de durabilité

Des organisations et initiatives de soutien aux logiciels libres

Conseil, réparation de matériel et de logiciels

De quoi s'agit-il ?

Ce guide s'attaque à la "numérisation durable" comme à la "durabilité numérique".

On peut aborder ce site web sous deux angles : D'un coté, il s'agit de l'"empreinte numérique" et de la manière de concevoir la numérisation de la manière la plus respectueuse possible des ressources, de la planète et de la durabilité.

D'un autre côté, si l'on commence la lecture dans l'autre sens, c'est plutôt la vie intérieure de nos appareils qui est au centre : les programmes et algorithmes avec lesquels nous faisons l'expérience du monde numérique. Ils peuvent être structurés de manière à enrichir les grands groupes - ou de manière à être accessibles à tous et disponibles à long terme. Le savoir numérique lui-même est une ressource qu'il convient de protéger. Il risque d'être privatisé et monopolisé parce qu'il permet de gagner de l'argent.

Le terme "durable" vient de la sylviculture. Il y a encore deux ou trois cents ans, les arbres étaient abattus sans pitié. Le bois était la ressource de l'époque. Mais à un moment donné, de grandes inondations ont eu lieu - et les gens ont compris que les collines dénudées ne pouvaient plus retenir les masses d'eau. On a donc décidé qu'il ne fallait pas exploiter plus de bois qu'il ne pouvait en repousser. La loi sur les forêts l'impose encore aujourd'hui.

Or, nous gaspillons actuellement des ressources qui ne se renouvelleront pas de sitôt. La crise climatique et la crise de la biodiversité qui s'annoncent menacent littéralement de couper l'herbe sous le pied de l'humanité. Les changements vont accentuer les différences entre les hommes et les pays si l'on ne prend pas des mesures fondamentales pour les contrer. Et l'Occident doit commencer à devenir plus modeste et à se contenter de moins.

L'ONU a formulé une série d'objectifs de développement durable, les Sustainable Development Goals. Il y est question des droits de l'homme, de la lutte contre la faim et la pauvreté, du droit à l'éducation ou de l'accès au monde numérique. On voit bien ici comment la numérisation durable et la durabilité numérique sont imbriquées et se conditionnent mutuellement.

Un concept important qui réunit le monde matériel, réel et les espaces numériques est celui des "biens communs", en anglais "commons". Autrefois, les communs étaient des biens collectifs, comme des pâturages pour le bétail, utilisés en commun par un ou plusieurs villages.

Un bien commun est formidable, car la terre n'appartient pas à quelques particuliers, mais au plus grand nombre. Mais les biens communs sont toujours menacés. Ils peuvent être surexploités : Ils risquent alors de disparaître parce que le terrain s'érode et ne donne plus rien.

Il en va de même pour l'Internet "as a commons" : le savoir numérique doit être entretenu et développé pour le bien de tous, sinon il risque de devenir hostile. Cette brochure fournit des connaissances théoriques de base, tout en essayant de fournir des réponses pratiques à la question de savoir comment nous pouvons organiser notre vie de manière durable sur le plan numérique. Tout en sachant que les technologies numériques sont utiles, mais souvent aussi problématiques. Elles font notamment de nous des personnes transparentes : A l'empreinte numérique s'ajoute donc l'empreinte digitale numérique. Les groupes technologiques mettent tout en œuvre pour collecter un maximum de données sur nous. Le "Petit guide d'autodéfense numérique", qui a déjà été publié, propose des alternatives pour mieux protéger notre vie privée et reprendre le contrôle de nos données. La boucle est bouclée avec le numérique durable : toutes ces alternatives sont également durables. Les guides s'adressent aux particuliers, aux écoles, aux petites entreprises, aux ONG ou aux professionnels des médias - à tous ceux pour qui il est important d'assumer leur responsabilité pour un monde transformé de manière durable.

Et ici, tout le monde peut commencer tout de suite et avoir une idée de la quantité de CO2 qu'il libère en surfant sur le web - en temps réel : https://bitsabout.me/de/so-holst-du-das-beste-aus-deinem-co2-rechner-heraus/.

L'équipe de rédaction

Un guide rapide
pour une
durabilité
numérique
Ce que les logiciels du futur
doivent pouvoir faire
De
La durabilité numérique signifie que le savoir numérique reste accessible à long terme, de manière générale et ouverte.

Tout le monde doit manger. On peut cuisiner avec des aliments bio ou se nourrir de malbouffe addictive. La production alimentaire est existentielle. Il en va de même pour la numérisation, puisque nous en sommes désormais presque aussi dépendants que de la nourriture.

Mais il est plus facile de choisir consciemment de bien manger. La cuisine s'apprend, les recettes sont librement disponibles. Dans le monde numérique, c'est plus complexe. Qui peut lire des recettes en bits et en octets ? C'est pourquoi on ne remarque guère les moyens de séduction utilisés par les groupes numériques pour nous attirer dans leurs sphères, dont on ne s'échappe pas si facilement. Mais à quoi ressemblerait un monde numérisé différent, qui ne serait pas dominé par les grandes entreprises de la technologie ? Un monde dans lequel le savoir numérique serait librement disponible à long terme pour le plus grand nombre de personnes possible ?

Principes de base

Pourquoi sommes-nous si attachés à Apple & Co ?

La marque Apple est populaire parce qu'elle fait tout pour faciliter la vie de ses utilisateurs dans le monde numérique. De l'iMac à l'Apple Watch en passant par l'iPhone, tous les appareils sont connectés et synchronisés via iCloud. C'est pratique tant que l'on n'a pas l'intention de quitter l'univers Apple.

Apple utilise des logiciels propriétaires. Les codes des programmes qui fonctionnent sur les appareils ne peuvent être ni consultés ni modifiés. Tout est secret et propriété privée d'Apple. Cela nous amène aussi à devoir nous débarrasser d'appareils qui fonctionnent en fait encore parfaitement parce qu'Apple propose par exemple régulièrement de nouveaux systèmes d'exploitation qui dépassent les capacités d'un ancien appareil. La mémoire est ainsi remplie, les apps ne fonctionnent plus, l'appareil est encore au top, mais les nouveaux programmes le transforment en ferraille. Apple n'est qu'un exemple. La plupart des entreprises qui voient une possibilité d'utiliser ce modèle économique le font aujourd'hui.

Un monde numérisé durable se présente différemment : Il est basé sur des logiciels dits libres et open source (FOSS). Le code source - la recette - peut être consulté librement. Des spécialistes indépendants peuvent examiner le code et supprimer les erreurs telles que les failles de sécurité. Ce n'est pas possible avec les logiciels propriétaires. Dans ce cas, seules les entreprises propriétaires des programmes décident comment et si les programmes sont développés.

Le modèle commercial des logiciels propriétaires a pour conséquence que quelques entreprises deviennent toujours plus puissantes et plus riches. Parallèlement, les utilisateurs deviennent de plus en plus dépendants. Car il est difficile de sortir de l'univers Apple. Transférer ses propres données - photos, e-mails, calendrier, notes - dans d'autres programmes devient de plus en plus compliqué. Un logiciel durable est en revanche transparent et mis à la disposition de tous de la manière la plus simple possible. Comme sur Wikipedia, les connaissances sont largement distribuées et restent accessibles. Cela permet de lutter contre la création de dépendances et de monopoles, comme c'est le cas pour Facebook ou Amazon. De nombreuses personnes ont, par exemple, documenté une grande partie de leur vie sur Facebook où elle reste à jamais prisonnière, car les photos, les posts et les souvenirs ne peuvent guère être déplacés dans un autre environnement. Pourtant, il existe un droit à la portabilité et à l'interopérabilité des données. Par conséquent, nous devrions être en mesure d'extraire toutes nos données d'un système tel que Facebook et de les réinjecter dans un autre réseau social sans perdre d'informations importantes. Mais cela ne fonctionne pas. Car il manque des normes uniformes et contraignantes. Celles-ci définiraient la manière dont les données pourraient être stockées et échangées. Nous connaissons le problème pour les connecteurs et les chargeurs, mais pour les données, c'est souvent encore bien pire.

À qui appartient ta collection de musique ?

La musique nous accompagne tout au long de la vie. Nos collections musicales renferment de nombreux souvenirs et beaucoup d'argent. Autrefois, les disques ou les CD s'empilaient à la maison. Aujourd'hui, les titres préférés sont marqués en ligne sur une plateforme comme Spotify et toujours disponibles - du moins tant que l'on est abonné au service. Celui qui ne veut plus payer perd toutefois l'accès et aussi toute sa collection de musique. En outre, les gains sont très faibles pour la plupart des artistes - mais pour rester visibles, ils sont tout de même obligés d'y participer.

Un autre exemple est celui d'Amazon. A l'origine, cette méga-entreprise ne livrait que des livres. Aujourd'hui, elle réalise des bénéfices élevés grâce à de nombreux autres services. Amazon est cependant toujours le plus grand distributeur de livres électroniques, qui peuvent être lus directement avec le pratique Kindle - le lecteur de livres électroniques fabriqué par Amazon. Mais celui qui achète des livres électroniques chez Amazon est prisonnier de l'empire Amazon. Les livres ne peuvent être lus que difficilement avec d'autres programmes. Ils ne peuvent être ni prêtés, ni donnés à d'autres. Si Amazon a le sentiment que quelqu'un a enfreint les conditions d'utilisation, le groupe supprime parfois toute la bibliothèque du Kindle. Car les livres électroniques d'Amazon sont uniquement loués.

C'est le cas de nombreuses plateformes et cela pose des problèmes. Si une plateforme change de modèle commercial ou fait faillite, les clients perdent les titres qu'ils ont collectés. De plus, les groupes se servent des données d'utilisation pour les exploiter économiquement.

Mais il existe aussi des solutions : Acheter des livres ou de la musique auprès de fournisseurs alternatifs dans un format ouvert et les sauvegarder. Ainsi, on pourra encore y accéder dans dix ou vingt ans sans payer d'abonnement. Il est également possible de les prêter ou de les offrir.

Combien cela nous coûte-t-il ?

Microsoft, Apple, Adobe et d'autres groupes utilisant des logiciels propriétaires utilisent différentes astuces pour enchaîner leur clientèle : ils proposent par exemple leur offre "gratuitement", mais veulent en contrepartie avoir libre accès aux données personnelles des utilisateurs. Autre astuce : au début, l'offre est particulièrement avantageuse jusqu'à ce que l'on s'y habitue, puis elle devient brusquement chère. Les services qui répondent aux besoins fondamentaux de l'homme en matière de contact social et de communication sont particulièrement efficaces. Les données personnelles qui en résultent (intérêts, besoins, habitudes, liens sociaux) peuvent ensuite être exploitées commercialement de manière très lucrative à des fins publicitaires. L'État y accède également pour des raisons de "sécurité nationale" et à des fins d'espionnage.

Le modèle commercial Software-as-a-Service (SaaS), comme le très répandu Office 365 de Microsoft, est très apprécié des exploitants de plateformes. Les utilisateurs ne possèdent plus les programmes, mais paient uniquement pour l'utilisation de l'application web et l'abonnement en ligne. Une fois que l'on est accro, on ne change pas, car un changement semble compliqué et coûteux.

Microsoft est particulièrement habile à se rendre indispensable. Lorsque la pandémie de coronavirus a éclaté, le groupe informatique a proposé aux écoles du monde entier d'utiliser gratuitement son programme de vidéoconférence "Teams". Après un an, les écoles doivent payer pour la licence "Teams". La Confédération travaille également en grande partie avec des logiciels de Microsoft et paie environ 30 millions de francs par an pour cela - uniquement pour les frais de licence.

Il existe pourtant des logiciels qui fonctionnent avec un code ouvert et qui sont accessibles à tous. Par exemple, l'outil de vidéoconférence BigBlueButton ou le logiciel de traitement de texte LibreOffice. Ces alternatives sont déjà très bonnes, mais ne fonctionnent pas encore aussi parfaitement que Zoom, Teams ou Microsoft Office.

Il y a des raisons à cela : Comme les programmes libres et open source sont à la disposition de tous, ils sont souvent utilisables gratuitement. Leur développement est maintenu en vie grâce aux dons et au travail bénévole. Pourtant, les alternatives seraient rapidement au moins aussi bonnes que les programmes connus si les pouvoirs publics accordaient aux projets FOSS une partie seulement de ce qu'ils versent aux grands groupes numériques.

Cela garantirait également que les contenus créés soient encore accessibles et modifiables dans de nombreuses années. Ce n'est pas toujours le cas avec les logiciels propriétaires, car les anciens fichiers ne peuvent souvent plus être ouverts et traités avec des programmes plus récents. Les connaissances qu'ils contiennent sont donc perdues à jamais. Si nous investissions notre argent dans le développement de produits numériques communs et non dans le profit de quelques groupes, l'Internet pourrait devenir un bien commun numérique : Un lieu où les connaissances et les ressources numériques seraient, dans l'idéal, librement accessibles à tous.

Que faire ?

Il n'est pas nécessaire d'être un crack de l'informatique pour se libérer de l'emprise des grands groupes numériques. on n'est pas obligé d'abandonner son MacBook ou l'univers Apple, car il est possible de travailler avec des appareils, des programmes et des plateformes basés sur des logiciels ouverts également sur un appareil Apple. Un premier pas peut consister à travailler avec des programmes de traitement de texte ou des navigateurs ouverts (→ voir Applications). Ceux qui souhaitent aller plus loin peuvent suivre un cours de programmation et se familiariser avec un système d'exploitation Linux. Et si l'on souhaite équiper son entreprise ou son école d'un système numérique durable, on peut consulter le répertoire des OSS. Il existe également une série de bons tutoriels sur l'utilisation et la programmation de solutions FOSS.

Ce qui est important, c'est ce que font les pouvoirs publics. L'administration ou les universités doivent promouvoir les alternatives de logiciels libres et open source. La règle doit être la suivante : il n'y a d'argent public que si les données et le code sont ensuite publics. Et dans les écoles, les enfants doivent apprendre en quoi consiste la programmation et ce que leur apportent les logiciels libres.

A quoi bon ?

Les logiciels libres et ouverts peuvent contribuer à rendre le monde un peu plus juste, plus stable et plus accessible. Car le fait que le savoir soit utilisable publiquement est central pour tous. C'est ce que montre l'exemple du marché international des semences. Trois grands groupes dominent l'ensemble du marché mondial. Grâce aux brevets, ils ont réussi à faire des semences vitales leur propriété privée. Les paysans en dépendent et n'ont pas le droit de cultiver ou de modifier ces variétés privatisées. Autrefois, les semences étaient un bien commun. Tout le monde pouvait les utiliser et les cultiver. Les différentes régions avaient leurs propres variétés adaptées aux conditions locales. L'organisation "Open-Source-Seeds" veut à nouveau faire des semences un bien commun. Pour ce faire, elle attribue aux semences qui n'appartiennent pas encore aux multinationales une licence dite "copyleft". Celle-ci garantit que les semences et leurs développements restent librement disponibles. Les grands groupes ne peuvent plus les faire breveter. Cette contrepartie au copyright traditionnel prend sa source dans l'idée centrale du logiciel ouvert. Un code source libre et ouvert ne signifie toutefois pas que tout est gratuit. Tout comme les sages-femmes, les infirmières ou les artisans sont payés pour leurs compétences, il existe également des services payants dans ce domaine : On paie pour que les programmeurs adaptent par exemple un logiciel aux besoins individuels d'une entreprise, d'une école ou d'une administration - et non plus pour qu'une entreprise puisse utiliser un programme.

Les logiciels qui s'engagent en faveur de la durabilité numérique doivent respecter quatre libertés :

  • La liberté d'exécuter le programme comme on le souhaite, pour n'importe quel usage.

  • La liberté d'étudier le fonctionnement du programme et de l'adapter à ses propres besoins de traitement des données. L'accès au code source est une condition préalable.

  • La liberté de diffuser le programme et d'aider ainsi son prochain.

  • La liberté d'améliorer le programme et de mettre ces améliorations à la disposition du public afin que l'ensemble de la société puisse en profiter. L'accès au code source est une condition préalable à cette liberté.

(plus sur https://www.gnu.org/philosophy)

Applications

Il existe de bonnes alternatives aux programmes big-tech. Voici quelques exemples concrets qui ouvrent la voie vers le monde du libre et de l'open source.

Traitement de texte

LibreOffice et OpenOffice sont deux logiciels de bureautique complets qui sont aujourd'hui déjà très bien équipés et fonctionnent sans problème. Les programmes sont constamment développés. Ils sont disponibles gratuitement sur le réseau. Pour que cela reste ainsi et que les programmes puissent être améliorés et maintenus, il est possible de faire un don aux développeurs.

Moteurs de recherche

Le groupe américain Google détient en Europe une part de marché de plus de quatre-vingt-dix pour cent. Les algorithmes secrets de Google déterminent ce que nous voyons et ce que nous ne voyons pas sur le web. Google crée également des profils d'utilisateurs qui sont également accessibles aux services secrets. Il existe une série de moteurs de recherche alternatifs qui ne personnalisent pas les recherches et ne transmettent pas nos données - par exemple Startpage ou DuckDuckGo (pour en savoir plus, voir "Petit guide d'autodéfense numérique").

Livres

Lire des livres sous forme numérique peut s'avérer utile, mais il n'est pas nécessaire de les acheter chez Amazon. Diverses boutiques en ligne alternatives proposent des livres électroniques en format ouvert. On peut par exemple les lire avec le lecteur Tolino, que les libraires allemands, autrichiens et suisses distribuent ensemble depuis quelques années. Le Tolino peut lire des formats standard ouverts tels que PDF, ePUB ou TXT. Ou alors, on se rend dans sa librairie locale - tant qu'elle existe encore.

Musique

Pour écouter de la musique en déplacement, il ne faut pas compter sur Spotify ou Apple Music. Bandcamp est une plateforme musicale alternative qui s'oppose à la mauvaise rémunération des artistes sur les plateformes standard. Environ quatre cinquièmes des revenus sont reversés aux artistes. De plus, la musique n'est pas simplement louée. Les personnes qui achètent un album peuvent le lire en streaming aussi souvent qu'elles le souhaitent ou le télécharger au format MP3 ou FLAC pour leur propre collection. FLAC est un format d'enregistrement qui, contrairement au MP3, comprime les fichiers audio sans perte.

Cartes

Google Maps jouit d'une grande popularité. Le projet FOSS OpenStreetMap est pourtant une alternative valable. Tout le monde peut y collaborer, collecter et préparer des géodonnées librement utilisables. Apple Maps travaille d'ailleurs également avec OpenStreetMap et met lui-même des données à disposition pour l'amélioration des cartes. En Suisse, SwissTopo est également une bonne solution. Les cartes nationales officielles sont extrêmement précises et couvrent chaque recoin de la Suisse. L'Office fédéral de topographie a numérisé toutes les cartes et les propose à la libre utilisation. C'est un exemple exemplaire de la manière dont les fonds publics permettent de promouvoir les données publiques et d'en faire profiter tout le monde.

Connaissance

Autrefois, il existait des encyclopédies coûteuses en plusieurs volumes, comme l'"Encyclopaedia Universalis". Une rédaction - généralement composée d'hommes blancs bourgeois et cultivés - décidait de ce qui devait figurer dans l'encyclopédie. L'encyclopédie libre Wikipedia a supprimé ce système hiérarchique. Tout le monde peut utiliser Wikipédia, tout le monde peut y participer. Ainsi, de nombreuses connaissances sont devenues librement accessibles dans le monde entier. De plus, Wikipédia est l'encyclopédie la plus complète qui ait jamais existé. Toutefois, même sur Wikipédia, ce sont (encore) en grande partie des universitaires blancs et technophiles qui déterminent les contenus. Le logiciel derrière Wikipedia s'appelle MediaWiki. Il permet à toute personne de créer sa propre collection de connaissances en ligne et de la modifier avec d'autres. Il existe d'autres possibilités, comme Etherpad, Cryptopad, nuudle ou NextCloud, qui facilitent le travail commun en ligne.

Navigateur web

Le navigateur web ouvert par excellence est Firefox de la fondation à but non lucratif Mozilla. Il est rapide et polyvalent et se consacre à la "navigation sûre". Le code source est ouvert et constamment développé par une communauté active. En outre, d'innombrables extensions peuvent être installées pour renforcer la protection des données et de la vie privée.

Système d'exploitation

Linux est une famille de systèmes d'exploitation libres dont le code est disponible en libre accès. Le noyau, en anglais "kernel", sert de base à de nombreuses autres applications. Ubuntu, par exemple, est un système d'exploitation basé sur Linux qui s'utilise de manière très intuitive et se présente de manière similaire aux systèmes d'exploitation plus connus. De nombreux centres de calcul, sites web, smartphones fonctionnant sous Android et même des voitures et des avions sont exploités sur la base du noyau Linux. Linux montre ainsi ce qui est possible grâce aux logiciels libres et open source et comment cela fait avancer la numérisation.